De porte en porte

De porte en porte
© Théâtre du Peuple

De retour de Bussang en France, où j’ai eu la chance de voir une représentation de ma pièce D’Alaska dans une mise en scène de Vincent Goethals, j’ai envie d’écrire quelques lignes sur ce spectacle sobre et sensible que présentait cette année le Théâtre du Peuple dans le cadre de sa saison québécoise. Réunissant sur une même scène la comédienne amateur Marie-Claire Utz et le comédien professionnel Sébastien Amblard, la production innovait en explorant le filon du «théâtre d’appartement» et en proposant de repousser les limites de la représentation en s’immisçant chez les spectateurs.
.
Créée en décembre dernier dans le cadre des Hivernales, la production a d’abord été pensée pour un volet tout particulier des activités du Théâtre du Peuple. En effet, Goethals, dans un souci d’accessibilité et de décentralisation, met de l’avant depuis son arrivée la création de petites formes pensées pour être jouées dans des appartements ou des lieux non théâtraux. Autoportants, les spectacles vont ainsi à la rencontre des publics dans les petits villages et dans les communes où le théâtre se fait souvent plus rare. Pour la saison estivale, alors que le Théâtre du Peuple affichait une saison québécoise, Goethals a donc choisi de reprendre le spectacle au théâtre même. Entre un nouveau texte de Carole Fréchette, le brillant Small Talk, et deux one-woman-shows de l’inimitable Marie-Ève Perron, D’Alaska, présenté dans la salle intime, venait donc compléter cette programmation.
.
D’Alaska, qui raconte la « prise d’otage » d’une bibliothécaire retraitée dans sa propre maison par un adolescent de son voisinage, se prêtait particulièrement bien à ce genre d’expérience in situ. La pièce mettant en scène une « invasion de domicile », la situation dramatique se trouvait donc en parfaite adéquation avec la forme donnée au spectacle. La qualité de l’interprétation des deux comédiens, la belle complicité qui les unissait et l’intimité créée par la production rendait justice au texte et mettait en lumière de belle manière le propos central : l’apprivoisement de l’Autre.
.
D’ailleurs, avec la crise de fréquentation que traverse un peu partout le théâtre en ce moment, je trouve cette initiative de Goethals des plus judicieuses. En effet, alors que nous sommes tous et toutes de plus en plus affamés de virtuel, le théâtre, avec son côté très humain, très charnel, devient en soi étrange et déstabilisant. Dans les circonstances, ne faut-il pas repartir à la reconquête des gens en empruntant de nouveaux chemins, en allant les rencontrer sur le terrain qui est le leur? En frappant à leur porte et en tendant la main pour se présenter à eux?
.
Cette idée d’entrer dans les maisons, d’aller à la rencontre des gens en passant pour ainsi dire de « porte en porte », fait écho à certaines réflexions qui sont miennes en ce moment et qui m’ont d’ailleurs amené à titrer la saison qui vient « J’habite ici ». Rejoindre l’autre au cœur de son intimité, trouver un moyen pour y entrer sans trop le brusquer, n’est-ce pas ce que nous cherchons tous? En tout cas, à Bussang, Marie-Claire, Vincent et Sébastien ont trouvé, de belle manière, un chemin pour ce faire. Chemin qui a non seulement ravi l’auteur que je suis, mais lui a aussi donné matière à réflexion… Quoi demander de plus?
.

Bussang : entre les planches et la montagne

Niché en pleine campagne, au cœur des Vosges, le Théâtre du Peuple est une véritable institution qui, depuis plus d’un siècle, construit son projet artistique autour de la rencontre entre les artistes professionnels et les amateurs. Avec sa devise « Par l’art pour l’humanité », la maison, fondée par Maurice Pottecher, offre non seulement une programmation de haut niveau dans un site enchanteur, mais aussi tout un volet de formation accessible, durant la belle saison, à des stagiaires venus des quatre coins de la France. Dirigé au fil des ans par des metteurs en scène de renom (Rancillac, Rauck, Berling, Guillois, pour ne nommer que ceux-là), le Théâtre du Peuple est aujourd’hui sous la gouverne du metteur en scène Vincent Goethals, un amoureux des écritures contemporaines, qui a choisi de consacrer sa saison 2014, aux auteurs québécois.
.
Envie d'en savoir plus sur le Théâtre du Peuple? www.theatredupeuple.com

Sébastien Harrisson